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Pourquoi l’époque actuelle du rail diffère-t-elle de la précédente ?

Une question revient souvent dans le débat ferroviaire : pourquoi y-a-t-il une telle différence entre le service des trains des années 60-70 et la période actuelle ?.

Pourquoi l’époque actuelle du rail diffère-t-elle de la précédente ?

La réponse est que le chemin de fer est entré depuis les années 2000 dans la troisième époque de son existence. Mais qu’est-ce que cela signifie au juste ?

Le chemin de fer a plus de 200 ans d’existence. On retient généralement l’année 1825 comme étant le véritable démarrage du train de voyageurs, lorsque sur les 12,9 km de Stockton à Darlington, en Angleterre, à l’origine prévus pour le charbon, Georges Stephenson envisagea de transporter des voyageurs, ce qu’il fît le 25 septembre 1825.

Les années qui suivirent sont alors marquées par les débuts et l’expansion rapide d’un réseau de transport vécu comme révolutionnaire, mettant à mal les diligences et toutes l’économie tournée autour du cheval. Le XIXème siècle fût caractérisé par une multiplicité de projets et d’extension du réseau, qui atteignit son apogée dans la quasi-totalité des pays d’Europe dans les années 1900 à 1920. A cette époque, beaucoup de pays disposaient d’un chemin de fer de l’État, de compagnies privées ainsi que d’un vaste réseau secondaire, parfois à voie métrique.

Cette première époque du chemin de fer correspond en fait à celle de la première révolution industrielle et de l’idéologie de l’État. Le rail, alors transport dominant, servait réellement les « besoins de la nation », tant pour desservir la puissance industrielle que pour le transport des personnes et des armées. On mesure à quel point tout cela a bien changé de nos jours…

La deuxième époque
Elle s’exprime avant tout par l’environnement très différent dans lequel a vécu le chemin de fer dès la fin de la Seconde Guerre mondiale :

-  Le rail n’est plus le transport dominant ;
-  Une érosion importante du réseau secondaire s’amorce avec les nationalisations ;
-  On croit alors que les atouts du rail se situent plutôt sur les trafics grandes lignes et le fret ;
-  Une contradiction s’installe durablement avec d’une part l’interventionnisme de l’État au sujet des tarifs, et d’autre part par des demandes pressantes pour revenir à l’équilibre financier ;
-  Enfin, et ce n’est pas anodin, l’orientation des politiques publiques est de plus en plus axée sur la maîtrise des finances publiques.

Alors que les chemins de fer détiennent le quasi-monopole des transports depuis les années 1820, on assiste à partir des années 1945-50 à un déclin – relatif pour les voyageurs et même absolu pour le fret – de l’activité ferroviaire au profit du transport routier. La route devenait le transport dominant et les grandes industries et charbonnages fermaient les uns après les autres. Les nouvelles entreprises étaient plus modernes, plus petites et ne produisaient pas chaque soir de quoi remplir un train, ni parfois même un wagon complet.

Un malheur ne venant jamais seul, la reconstruction d’après-guerre fut bâtie sur les critères de la seconde révolution industrielle – pétrole/bitume/autos -, tandis que le chemin de fer se reconstruisait encore avec les techniques des années 30 (traction à vapeur, conception ancienne du matériel roulant…).

La gouvernance du rail fût aussi largement modifiée. Une grande partie du XXème siècle, surtout à partir des années 1920, voit le chemin de fer se nationaliser petit à petit dans chaque pays. Les Danois avaient certes donné le ton depuis 1885, puis les Suisses en 1902, les Italiens en 1905 et encore les tchèques en 1918. La Belgique nationalisa le réseau dès 1926, la France en 1938 puis le Luxembourg et la Grande-Bretagne terminèrent la marche, en 1946 et 1947.

Mais le plus grave à cette époque, c’est que les gouvernements européens se sont réservés le droit d’imposer des tarifs, et même de les diminuer, et de refuser des augmentations. Cette prérogative mettait clairement en péril les finances des administrations.

Une autre conséquence de ces nationalisations est que ces nouvelles entités furent fortement centrées sur la gestion du personnel plutôt qu’orientées « usager ». La gestion du personnel devînt rapidement la raison d’être première des entités nationalisées. Le cheminement professionnel était grandement basé sur le droit avec des règles de fonctionnement qui encadrent les carrières, l’exercice des métiers et des fonctions, la promotion et les mobilités professionnelles. C’était codifié, quasi militaire et très rigide. L’usager n’avait qu’à s’adapter à ce qu’on lui offrait. On mesure la différence avec notre époque actuelle…

La contradiction entre l’interventionnisme de l’État, qui imposait ses tarifs, et les demandes répétées des gouvernements de parvenir à l’équilibre financier a abouti à une politique de rationalisation importante du réseau secondaire, et à la croyance que le rail n’avait plus de missions au niveau local (en dehors des grandes villes – RER, S-Bahn), mais bien sur les flux grandes lignes et le fret à grand volume.

La conséquence de cette croyance fut les nombreuses fermetures de lignes en Europe. La création de la SNCF en janvier 1938 fut l’occasion « de redéfinir l’aire de pertinence modale ». À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, on fermait déjà 9.717 km de lignes voyageurs en France, soit 23% du réseau du réseau de 1932.

La Grande-Bretagne a particulièrement souffert : en à peine 15 ans de nationalisation, British Rail avait déjà abandonné au milieu des années 60 près de 5.000 km de voie ferrée, l’effectif du personnel avait diminué de 26 % (648.000 employés à 474.000) et le nombre de wagons avait chuté de 29 %.

Dans le même temps, le rail essaya de se repositionner sur d’autres trafics plus lucratifs. En 1957, six administrations lancèrent des trains confortables appelés « Trans Europ Express » sans demander la permission à de quelconques ministres. Leur déficit était couvert par chaque pays traversé sans que cela ne fasse débat. Dans les années 60 et 70, de nombreuses relations par voitures-couchettes et voitures-lits permirent de relier beaucoup de villes d’Europe en une nuit. Là aussi, les déficits de ces trains étaient épongés au niveau national.

La seconde époque était donc paradoxale, avec un curieux mélange d’interventionnisme (les tarifs sociaux) et de laisser-faire (contraction du réseau – politique grandes lignes).

Finances publiques
Contrairement à des idées souvent mal exprimées, l’orientation des politiques axées sur la maîtrise des finances publiques date de bien avant les directives européennes. En effet, l’imprégnation des sciences économiques dans les administrations a commencé dès les années 50, partout en Europe, en mettant la question des finances publiques au-devant de la scène de tous les gouvernements, abandonnant petit à petit l’idéologie de l’État et le service public « à n’importe quel prix ». Et c’est loin d’être un détail anodin.

Après la seconde guerre mondiale, les États furent en effet obligés d’établir un bilan et un compte de résultat à la manière des entreprises. Avec un impact majeur sur le service public ferroviaire. En France, Roger Guibert, alors directeur général adjoint SNCF, détaillait déjà en 1961 l’idée de « critères de gestion financiers normalisés ». L’Allemagne aussi se mit à calculer les coûts de sa Deutsche Bundesbahn dès la fin des années 60.

Cette transformation politique a conduit l’UIC (dont sont membres toutes les administrations ferroviaires d’Europe), à engager dès les années 60 un nouveau thème sur la « normalisation des comptes ». Autrement dit, bien avant que l’Europe ne s’engage vers l’adoption d’une normalisation comptable au niveau des états.

Cette orientation comptable de la chose publique – qui continue de faire débats de nos jours -, prit davantage d’importance dans les années 70-80. A la fin des années 70, la dette publique des Etats qui appliquent des politiques keynésiennes pour conjurer une crise que l’on croit momentanée, s’emballe. Les dépenses croissent et les recettes fiscales directes et indirectes se réduisent. A partir des années 1980, il devenait manifeste que la crise était profonde et durable.

La fin de cette seconde période annonçait inévitablement des années 90-2000 pleines de changements…

La troisième époque

Elle n’est pas le fruit – comme trop souvent affirmé – de l’arrivée de l’Europe et de ses directives, mais tout simplement des conséquences de la deuxième époque :

La maîtrise des finances publiques devient un impératif de toutes les politiques gouvernementales d’Europe ;

Il y a une volonté de stopper l’érosion du réseau et de faire revenir le service ferroviaire sur le transport régional et local, que la deuxième époque avait abandonné ;

Pour concilier ces deux politiques, il est apparu indispensable de faire un tri entre les trains qui doivent absolument être subsidiés et ceux qui peuvent être commercialement viables.

Contenir les coûts signifiait aussi de passer des contrats avec des objectifs chiffrés plutôt que d’éponger des déficits globaux. Cela signifie aussi l’arrivée d’un nouveau type de management et une autre manière de faire du train.

Sectorisation
La sectorisation des activités ferroviaires ne date pas non plus de l’Europe et de ses directives, ni d’une quelconque vague de néolibéralisme. En France l’économiste Maurice Allais recommandait déjà en 1948 une « réforme des structures » de la SNCF. Dans les années 70, trains grandes lignes, banlieue et de fret formaient déjà des entités distinctes au sein des opérateurs étatiques, parfois avec leur propre matériel roulant dédié. British Rail fût sectorisé dès les années 80, bien avant l’élaboration des directives ferroviaires européennes.

Cette sectorisation – en gros : infrastructure, trafic régional, trafic grande ligne et trafic fret -, a permis aux états de mettre de l’argent du contribuable là où c’est absolument nécessaire. Il apparaît rapidement que les infrastructures et le trafic régional étaient de facto les pôles devant bénéficier de subsides, car cela concerne le transport au quotidien dont les usagers ne sont pas capables de couvrir les coûts par la seule billetterie. Une aide est donc de facto indispensable.

En revanche, le pôles grandes lignes fut jugé à même d’être financièrement autonome, car ces trains ne couvrent pas des besoins élémentaires mais plutôt un trafic de loisirs ou d’affaire, une clientèle qui est capable de couvrir les coûts de ces trains. Néanmoins, un certain nombre de pays continue de subventionner des trains grande ligne en raison de l’importance à relier certaines régions. C’est le cas de la France (TET), mais aussi par exemple de l’Italie, de la Pologne et de nombreux pays de l’Est.

La sectorisation répond aussi à la maîtrise des coûts de production, puisqu’elle permet évidemment d’analyser plus finement les comptes de chaque entité. L’enjeu devînt politique dans la mesure où cela mettait fin à la péréquation et aux subventions croisées. Aujourd’hui, le « groupe SNCF » est organisé en filiales , de telle sorte qu’il est possible de déterminer précisément ce que coûte et rapporte chacune d’elle.

Cette politique de contractualisation – qui touche aussi le trafic marchandises -, est donc ce qui diffère radicalement de la politique de la seconde époque, celle du XXème siècle où régnait le déficit global. Elle explique hélas aussi pourquoi un certain nombre de trains internationaux furent abandonnés.

L’ancienne formule de coopération, qui était celle de la deuxième époque du rail – où chacun gère sa politique sur son territoire -, semble devoir trouver un nouveau souffle. Dernièrement, la SNCF a signifié la fin de la coopération avec sa consœur du service public espagnol Renfe. Désormais, le trafic international sera géré vers Barcelone comme chacun l’entend. La SNCF elle-même le justifiait par la volonté « de mettre fin à certaines lourdeurs »…

De nos jours, l’option marchande implique que le risque commercial en trafic grandes lignes est supporté par une entreprise seule (cas de Trenitalia en France, de Ouigo Espana en Espagne), ou sous forme d’un partage de risque comme chez Thalys (SNCF, SNCB, les hollandais prenant 100% des risques à eux seuls entre Anvers et Amsterdam).

D’autres formules existent cependant comme le Groupement d’intérêt économique (GIE), qui présente l’avantage d’être soumis à des règles juridiques très souples, notamment en ce qui concerne son capital social (possibilité de constitution sans capital), son objet (qui peut être civil ou commercial) ou ses modalités d’organisation.

En définitive, la pression sur les finances publiques est l’objet qui domine toutes les politiques ferroviaires de cette troisième époque. Il est peu probable que l’on sorte de cette ligne de conduite car on assiste de nos jours à l’arrivée d’un néo-interventionnisme, lequel ne ressemble pas à l’interventionnisme des années keynésiennes. Le rail doit donc s’en tenir à l’argent disponible, à la contractualisation et est obliger de rechercher de nouvelles ressources financières et entrepreneuriales pour s’étendre.

C’est justement ce que permet la politique européenne, qui autorise dorénavant d’ouvrir au maximum toutes les possibilités juridiques et financières pour investir d’une manière ou d’une autre dans le train : subsides publics au travers de la délégation de service publics, investissements extérieurs (immobilier de gares, loueurs de matériel roulant), nouveaux opérateurs avec d’autres idées organisationnelles et techniques. Bien entendu, des corrections devront être faites là où on constate des défaillances de la contractualisation…

Auteur : Frédéric de Kemmeter                 mediarail.wordpress.com

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