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Le rail, une matière encore très nationale

Le trafic international entre États membres de l’Union devait croître considérablement avec les frontières ouvertes et l’espace Schengen. Cela a-t-il vraiment profité aux chemins de fer ?

Le rail, une matière encore très nationale

Depuis la création des institutions européennes en 1957, on a souvent entendu dire qu’il s’agissait, pour un si petit continent comparé aux autres dans le monde, d’ouvrir les frontières pour ne faire de l’Europe qu’un seul espace. Mais cette belle idée n’a été que partiellement réalisée.

Après l’adhésion de 10 pays supplémentaires à l’Union européenne en 2004, 100 millions de trajets transfrontaliers de passagers ferroviaires ont été comptabilisés à travers les frontières intérieures de l’UE en 2007, soit une augmentation de 27 % depuis 2001. Cela a pu faire croire que l’Europe sans frontières devenait une réalité et disposait d’un énorme potentiel. Mais un rapport de l’UE datant de 2019 explique clairement que le trafic ferroviaire de passagers est essentiellement national, avec seulement 6 % de franchissement des frontières en 2016.

En cause : au-delà d’une minorité de citoyens « apatrides » ou expatriés, ainsi que d’une clientèle d’affaire issue des catégories socio-professionnelles supérieures, les « autres » citoyens européens se contentent tout simplement de vivre chez eux et ne fréquentent « les terres étrangères » que pour leurs seules vacances annuelles. Les travailleurs transfrontaliers ne représentent eux aussi qu’une minorité de travailleurs.

Tout cela permet de démontrer, comme les chiffres de l’Europe, que ce sont les trajets nationaux qui prédominent en Europe. Le trafic international – en dehors du trafic transfrontalier -, demeure beaucoup moins important qu’on en veut le faire croire. Cela se vérifie si on ose une comparaison entre quelques opérateurs :

Thalys a mis 20 ans pour construire un trafic de 7,5 millions de voyageurs, tous internationaux, ce qui est une belle performance ;
Mais NTV-Italo, un nouveau venu, a mis 8 ans pour atteindre le double, soit 14 millions de voyageurs en Italie, mais sur le seul territoire national ;
Idem avec le privé tchèque RegioJet, qui a construit une clientèle de 10 millions de voyageurs depuis 2012, essentiellement sur le segment national, bien que l’opérateur ait une belle performance à l’international.

Il ne s’agit pas ici de comparer entreprises privées avec des filiales d’entreprises étatiques. Le but est de démontrer que construire une clientèle nationale est beaucoup plus rémunératrice qu’à l’international. La SNCF le démontre largement en prenant part à la libéralisation espagnole, qui concerne uniquement du trafic intérieur. Elle a déjà enregistré près de 400.000 voyageurs en 3 mois. C’est aussi sur base de cette réflexion que Flixtrain fonde sa politique. Ses trains, tant en Suède qu’en Allemagne, ne sont jusqu’à présent que des trafics grande ligne intérieurs. Flixtrain n’a pas encore franchit de frontières.

Pourquoi le train est-il une affaire si nationale ?

Pendant les 200 premières années, les chemins de fer européens se sont développés en tant que systèmes nationaux, souvent propriété de l’État, et ont été conçus pour déplacer les personnes et les marchandises sur le territoire national. L’interopérabilité n’était jamais envisagée et, lorsqu’elle l’était, elle était souvent combattue par les gouvernements qui ne souhaitaient pas « faciliter la logistique des invasions. » La première moitié du XXe siècle a été largement marquée par les guerres et la méfiance entre les nations. Heureusement cette sombre période a changé et une paix durable a été instaurée.

En 1954, le hollandais Den Hollander voulait créer des Trans Europ Express (TEE) avec un matériel unique. Barrage immédiat : cela menaçait l’industrie et la souveraineté nationale. Les TEE sont nés en 1957 avec quatre autorails diesel différents ! Seuls les réseaux allemands et autrichiens étaient interopérables techniquement, du fait de leur proximité technique, permettant aux locomotives autrichiennes de monter jusqu’à Munich.

À cette époque, il n’y avait pas de facturation internationale mais une sorte de troc généralisé entre opérateurs : tu me donnes un train, je t’en donne un autre. Tout le trafic international était géré de la sorte, sans qu’aucun gouvernement ne s’en mêle. Les déficits étaient noyés dans un tout national. Mais dans les années 90-2000, les directives européennes mais surtout l’adhésion aux règles comptables IFRS, dans le cadre des politiques de finance publique, ont éliminé cette manière de faire…

Du côté technique, s’il y a bien eu des efforts d’interopérabilité en 100 ans sous l’égide de l’UIC, seules les voitures et les wagons de marchandises en ont profité. Avec les obligations douanières et l’arrêt des trains aux frontières, il était bien plus rentable de changer de locomotive. Il faudra attendre les années 2000 pour que les constructeurs s’attaquent, de leur propre initiative -, sur une locomotive réellement internationale et vendable à tout le monde. Ainsi arriva la TRAXX de Bombardier, une locomotive vendue à 3.000 exemplaires de Stockholm à Lisbonne.

Peu d’intérêt pour l’international

De nos jours encore, de nombreux réseaux achètent du matériel roulant non-interopérable, ne voyant pas l’intérêt de passer les frontières. La SNCF opère ainsi son TGV Ouigo en Espagne après avoir transférer 14 rames TGV Duplex « qui ne reviendront plus jamais en France » et avec un personnel est 100% espagnol. Une pure politique nationale, tout en ayant une maison-mère dans un autre pays, il va falloir s’y habituer.

Mais on ne peut pas blâmer les opérateurs historiques. Souvent, ce sont les gouvernements qui imposent un recentrage sur l’aire nationale pour recadrer les activités avec les limites des finances publiques. Nombreux sont ceux qui ont demandé à « leur » opérateur, comme en Allemagne, de se débarrasser des quantités de filiales à l’étranger sous prétexte que cela n’apporte rien au pays. Sauf que, comme illustré plus haut, s’émanciper à l’étranger, c’est ramener des sous chez l’actionnaire principal.

A contrario, on peut mentionner l’Autriche comme une exception. L’opérateur ÖBB étatique a construit sa politique de train de nuit Nightjet dans le but de répandre le savoir-faire autrichien dans toute l’Europe. Et on peut dire que c’est une réussite. Trenitalia semble vouloir pratiquer une politique identique avec le lancement des Frecciarossa entre Milan et Paris, et en Espagne en 2022.

Enfin, il y a le débat sur la qualification du trafic international en tant que service public. C’est oublier que le service public est payé par des impôts strictement nationaux et que l’Europe n’a aucun pouvoir sur ce thème. Le service public est quelque chose qui n’a pas la même définition entre les pays, puisque les subsides sont basés sur la fiscalité nationale. Il faut donc nécessairement l’accord de deux ou plusieurs gouvernements pour exploiter un service international de service public. L’échec d’un train de nuit entre Malmö, Cologne et Bruxelles démontre que ce n’est pas simple. Les hollandais ont du aligner 6,4 millions d’euros pour s’assurer de voir le Nightjet en gare d’Amsterdam durant 4 ans. Après, il faudra renégocier…

En parallèle, l’aviation low cost se répandait à grande vitesse. Non pas à cause du manque de TVA sur le kérozène, mais tout simplement parce que ce secteur, au contraire du chemin de fer, est intégralement internationalisé. On y parle une seule langue technique – l’anglais -, et l’écrasante majorité des vols en Europe ont un caractère international. Or ce sont justement ces vols qu’apprécient de nombreux européens pour leurs seules vacances annuelles. Il n’en fallait pas plus pour marginaliser le rail.

Les objectifs climatiques vont-ils modifier cela ?

C’est peu probable. D’une part parce que le train n’est qu’un instrument parmi d’autres pour atteindre les objectifs climatiques. Le train n’a aucune chance de redevenir le transport dominant comme dans les années 30 car en face, l’automobile se prépare à une transition vers une motorisation plus durable. Le transport individuel dispose encore d’un avenir radieux. Et d’autre part parce que les moyens pour atteindre les objectifs climatiques sont laissés à l’appréciation des États membres, pour d’évidentes raisons culturelles, donc politiques. Des mesures prises dans un pays ne sont pas nécessairement celles du pays voisin. Il suffit de voir le dossier du nucléaire…

La première priorité pour mieux internationaliser le rail serait d’unifier le plus possible la signalisation et la détection des trains pour que les TRAXX de Bombardier, ainsi que les Vectron de Siemens, puissent se débarrasser de tous ces systèmes nationaux qui sont encore obligatoires à bord. On y arrive doucement….

Auteur : Frédéric de Kemmeter

www.mediarail.wordpress.com

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